Les arguedennes
(guènnes)
 
    Le mot wallon « arguedennes » (en français airs, ariettes, rengaines...) au sens strict désigne des morceaux composés suivant un canevas bien précis et qui ne comportent que des airs de style des alentours du XIXe siècle : mazurkas, valses, polkas, schottischs...).
    J'emprunte partiellement à Géry Dumoulin la description du canevas de ces morceaux :
    « Une arguedenne est composée de trois parties : la partie A, qui est le thème principal ; la partie B, qui est un petit thème plus simple et reprend souvent un air passe-partout qui se retrouve à cet endroit dans presque toutes les arguedennes de même style (valse, polka...) mais varie un peu suivant la région, il comporte souvent un bémol en moins à l'armure que le thème A ; et le trio, petit air accessoire qui comporte généralement un bémol supplémentaire à la clé par rapport à A.
    » L'arguedenne se déroule comme suit : On joue deux fois la partie A (thème), une ou deux fois la partie B en tutti (défoulement pour le soliste), puis une fois la partie A ; on passe ensuite au trio joué une ou deux fois, puis on rejoue une fois la partie A pour terminer. »

    Jusqu'aux années 1970, nombreux étaient encore les improvisateurs d'arguedènes pour qui chaque morceau était unique, composé par eux sur-le-champ et n'était jamais joué qu'une seule fois, suivant l'inspiration et l'ambiance du moment. Citons entre autres Èl Coq Magain (de Fraire), les Pidjons, Jules André, André Deduffeler (qui jouait entre autres à Yves-Gomezée), etc., etc.
Pour des renseignements plus détaillés sur ce genre d'arguedennes, je vous conseille une visite sur le site du groupe d'arguèdèneûs "A râse dè tère".
    Pris au sens large, le mot arguedennes désigne également des airs connus (anciens ou actuels) réharmonisés par des accompagnements improvisés. Autrement dit, ce sont des airs ou des ariettes, connus ou composés sur-le-champ par un soliste, complétés par des accompagnements improvisés. Une arguedenne non accompagnée n'est donc pas vraiment une arguedenne. Voici l'avis d'un ancien musicien professionnel sur ces morceaux.
    Ailleurs qu'en Wallonie, ou lors de l'utilisation d'autres instruments (guitares, etc.), l'exécution de ce genre de musique est souvent appelée bœuf ou jam session et ceux-ci dérivent peut-être de nos sessions d'arguedennes, dont l'origine est tout de même très ancienne (XIXe s.).
    On joue ces morceaux dans les cafés, lors des pauses d'un défilé, etc.
    Ces musiques plus ou moins improvisées ont une grande responsabilité dans la solidité du noyau des groupes musicaux du genre fanfare ou harmonie. Dans les ensembles où les arguedennes n'existent pas ou ne sont pas admises, il n'y a pas de vraie cohésion entre les musiciens, et donc pas de solidité du groupe.
 
    Pour que les arguedennes fonctionnent bien, il y a un certain nombre de règles tacites d'une importance capitale à respecter. La cohésion du groupe ne tient parfois qu'à ce fil.

    1. N'importe quel musicien peut entamer une quelconque arguedenne, sous réserve : a) que, à sa connaissance, elle ne soit pas jouée habituellement en soliste par un autre des musiciens présents - b) qu'il soit capable de la jouer en entier.
    2. Une arguedenne commencée par un musicien devient aussitôt et pour toute la durée de son exécution la propriété de celui-ci : il en est le soliste attitré jusqu'au bout du morceau, c'est-à-dire que personne d'autre ne pourra s'approprier un solo à l'intérieur de ce morceau (ça s'appelle "récupérer" l'arguedenne), excepté si le "propriétaire" désigne explicitement un ou plusieurs musiciens pour ce faire, ou dans le cas d'un morceau à solos séparés (jazz, par exemple...).
    3. En présence de son propriétaire habituel, une arguedenne ne peut normalement être entamée que par lui, excepté si quelqu'un la commence visiblement pour l'inciter à la jouer. Dans ce cas, le propriétaire habituel ne peut raisonnablement pas se faire prier et doit continuer comme soliste le morceau commencé par son camarade. S'il ne le fait pas, le musicien qui a lancé l'arguedenne doit la continuer jusqu'à l'achèvement.
    4. Tout musicien peut accompagner l'arguedenne entamée par un soliste, mais en prenant bien garde de ne pas écraser celui-ci par une trop grande puissance, de ne pas déformer le morceau en faisant des reprises imprévues ou inversement, et en respectant au maximum les règles habituelles de l'harmonie (successions d'accords, modes, modulation des contre-chants et de la basse, rythme, etc.). Il est indispensable de garder à l'esprit que le but de l'accompagnement est de mettre la mélodie en valeur, et non de l'écraser ou de l'abîmer.
    5. Pour conserver l'esprit rassembleur des arguedennes, il est important d'éviter l'élitisme, pour laisser à chacun, débutant ou confirmé, l'occasion de s'exprimer musicalement.
 
    Il arrive malheureusement trop souvent que des musiciens soient déformés par leurs prestations en musiques de gilles : ils ont alors tendance à tenter de jouer plus fort et plus haut que les autres, comme pour s'imposer. Ce qui gâche malheureusement tout le plaisir des autres musiciens et du public.

    Pour devenir un bon musicien d'arguedennes, il est préférable dès le début de ne pas jouer ces morceaux d'après partition, mais plutôt de tenter de retrouver à l'oreille les notes jouées par d'autres en les essayant sur son propre instrument, de retrouver ainsi l'armure suivant les altérations utilisées. En avançant de cette manière, il deviendra rapidement possible de jouer des tierces ou des contrechants avec un instrument de tessiture moyenne, ou de trouver des modulations de basse avec un instrument grave.

    Attention ! Certaines arguedennes doivent faire l'objet d'une déclaration à la société des droits d'auteurs. Se renseigner à la Sabam.

© Texte : Arthur Matagne.
"Little scottish" d'Albert Langue, interprété par Vicky Vitt.
 

 
 
 
 
Photos : collection Arthur Matagne