(tiré principalement de "Fraire-la-Grande et Fairoul" par l'abbé Evrard 1958) Cette fontaine est connue au loin dès la plus haute antiquité, vu son importance pour abreuver bêtes et gens. Aussi les troupes en déplacement combinent-elles d'y faire arrêt. D'après les archives paroissiales : « En 1641, Piccolomini, se rendant à Givet, fait arrêt à Fraire avec sa troupe. » « Le 15 octobre 1651, 325 cavaliers lorrains venant de Beaufort-en-Hainaut s'arrêtent à Fraire pour piller le village. Mais nous nous avons contregardés du pillage », écrit le curé. « 11 février 1654, un régiment d'Allemands, venant de Rocroi, loge chez nous. » « Au matin de Saint-Jean-Baptiste 1655, c'est la garnison de Givet qui passe à la fontaine de Fraire. » Petit à petit, le marais avait été comblé, tout en préservant la fontaine. Une route avait surgi le long du côté nord du Preyat, en contrebas du cimetière (actuellement cour de la ferme). A 30 mètres de la rue du wez (actuellement ruelle entre jardins), qui traversait le ruisseau, fut établie une rue parallèle, la rue du Preyat (actuellement rue de la Banque) ; puis enfin une troisième rue, en 1824, la grand-route actuelle (rue de Rocroi). Ces trois routes ont été rendues possibles par le comblement progressif du Preyat avec les terres provenant du lavage des mines. Le terrain s'éleva de 2,50 m et, depuis, c'est dans des canalisations que le ruisseau traverse le Preyat. Au cours des âges, la fontaine, abreuvoir et lavoir étaient soigneusement entretenus, comme en témoignent les registres communaux encore existants : 12 août 1838 : « Payé à Keler pour la fontaine communale. 4e paiement : 603 F ». 1er janvier 1839 : « Pavement de la fontaine : 600 F ». Depuis le regain d'intérêt pour les minières et les crahiats de sarrasins, Fraire s'enrichit très rapidement. Le 28 juin 1856 est abordé le chapitre de la restauration de la fontaine de Fraire. 17 octobre 1869 « Il est décidé qu'un abreuvoir monumental sera construit sur la place du Preyat, à l'emplacement d'une vieille maison avec jardin appartenant à Marie-Thérèse Gustin, veuve Pierre Bayenet, acheté par la commune 1.500 F ». Le 5 février 1871, le conseil se réunit avec pour ordre du jour : construction d'une fontaine monumentale (14.122,98 F) surmontée d'une vasque de couronnement : « Pour insuffisance de la fontaine publique et nécessité d'amener au centre de la commune une eau potable plus abondante. Vu l'importance d'établir un abreuvoir qui puisse servir en cas d'incendie. Entendu M. Moulan, ingénieur à Verviers, et vu les plans et devis dressés par lui. Attendu que la vasque de couronnement de la fontaine, bien qu'objet de luxe, est un ornement obligé pour la place publique, dont le conseil propose de couvrir les frais, soit 1.400 F, au moyen de souscriptions particulières ». Enfin, en 1873, dans sa séance du 28 septembre, le conseil communal, pour parachever le cachet d'utilité et de beauté de la fontaine, décide de « ... déplacer la petite fontaine du Preyat tout en entourant de chaînes la fontaine principale et en y plaçant deux bacs ». La fontaine (photo prise entre 1890 et 1906). Le fermier faisant boire ses deux chevaux serait Octave Tamenne, arrière-grand-père entre autres de Francis Tamenne et de Bernard Bauthière. • La fontaine monumentale de Fraire était composée d’un grand bassin octogonal formé de huit éléments moulurés en pierre calcaire, au centre duquel se dressait un socle ouvragé surmonté d’une sorte de vase à deux poignées, très orné, fermé par une espèce de dôme ; le tout en fonte. Dans ce bassin, autour de la pièce centrale étaient disposées quatre bornes fontaines verticales en fonte, travaillées dans le même style que la pièce centrale, comportant chacune une tête de lion dont la gueule crache un jet d’eau, où les ménagères venaient remplir leurs seaux, posés sur des supports prévus en face de chaque tête de lion. Cette eau, provenant vraisemblablement de la captation de Mouchenaire, devait être amenée à la fontaine par une tuyauterie en grès de ø 100, dont il subsiste des vestiges, passant dans le lit du ruisseau principal provenant du trou Baudhuin. Le tour extérieur du bassin était dallé de grandes pierres plates rectangulaires — trapézoïdales aux huit angles — ; ce dallage était surélevé de 15 cm par rapport au pavement octogonal qui l'entourait, formé de pavés 10/10. A moins de deux mètres du bassin étaient placés deux bacs de pierre moulurés destinés au lavage du linge. L’ensemble était entouré de quatre groupes de quatre bornes à section hexagonale en pierre supportant une chaîne délimitant artistiquement la zone de la fontaine. Dallage, pavement, bacs et chaînes autour de la fontaine. Ancienne situation de la fontaine sur la place, avec le monument empiétant sur les chaînes sud. Le bâtiment Bayot était plus long et la rue de Morialmé était plus sinueuse. En 1921, le monument en l'honneur des victimes de la guerre 1914-1918 fut érigé au sud de la fontaine ; pour ne pas trop gêner la circulation routière sur la route de Morialmé et sur la grand-route (rue de Rocroi), le socle du monument empiéta sur la clôture de chaînes sud de la fontaine. Pensons bien qu'à cette époque le placement du monument a revêtu aux yeux des habitants infiniment plus d'importance que l'environnement de la vieille fontaine. Pendant la guerre 1940-1945, plusieurs bombes tombèrent sur le village, dont une très près de la fontaine monumentale ; il en résulta entre autres des dégâts aux pierres formant le tour du bassin contenant l'eau : certaines pierres furent cassées ou fissurées et l'étanchéité de l'ensemble fut gravement perturbé. On renforça la solidité de la vasque en comprimant le périmètre des pierres dans un collier formé de profilés de fer resserrés entre eux au moyen de boulons, ce qui permit momentanément — en attendant mieux — à la fontaine de refonctionner comme auparavant. La fontaine avant 1920. La jeune fille assise à gauche sur le bord de la fontaine serait Denise Gillard. (On voit très bien la surélévation du dallage par rapport au pavage qui l'entoure.) Deux photos de la fontaine vers 1940 Vers 1947, il fut décidé de compléter la distribution d'eau, qui était restée embryonnaire jusqu'à la guerre, dans toutes les maisons du village. Jusque-là, les gens venaient avec leurs seaux, pendant aux deux chaînes de leurs gôrias (ou gôdges) en français "jouguets" ou "gorges" , se servir d'eau aux petites fontaines publiques qui se trouvaient à disposition dans chaque rue. Ces grands travaux terminés, il fut évident que l'intérêt pour les fontaines en général et pour la grande fontaine monumentale en particulier avait fortement baissé. Les réparations pour remettre la fontaine principale en parfait état de marche ne furent plus jugées nécessaires par l'administration communale. L'arrivée d'eau fut coupée ; l'eau de la vasque fut remplacée par de la terre, en vue d'y mettre des fleurs. Les petites fontaines de rues furent elles-mêmes enlevées. Et finalement, la grande fontaine finit par être jugée encombrante : elle empêchait entre autres les voitures de se garer sur la grand-place, et de plus, lors des kermesses, les attractions foraines d'une certaine importance — comme les autos tamponneuses — étaient forcées d'aller se monter sur la place Verte, c'est-à-dire un peu à l'écart du centre du village. Ce qu'il restait de la fontaine vers 1949, peu avant sa suppression. Photo aérienne montrant l'emplacement de l'ancienne fontaine sur la place (croix) et son emplacement actuel (carré) En conclusion : Cette magnifique fontaine à jets d'eau, la plus belle de l'Entre-Sambre-et-Meuse, qui rappelait l'origine ferro-minière de la localité, qui avait été édifiée avec fierté et un soin réclamant l'intervention d'un ingénieur, à un prix élevé pour l'époque (à multiplier par 100 en 1958, ce qui fait environ 15.000.000 F de 1995, ou 370.000 euros en 2002), dont la photographie se trouve depuis 1900 au musée du Cinquantenaire à Bruxelles, fut vendue au prix de ferraille en 1951 (la date 1953, reprise du livre des délibérations communales par l'abbé Evrard, semble une erreur de transcription) par décision unanime du conseil communal. Aujourd'hui, les deux bacs de lavage du linge, dont l'un est resté placé jusqu'à il y a peu contre la remise en face de la maison de feu Mme Emile Hennaux, ont disparu ; les pierres du bassin, sciées, servent de base aux vitrines de l'ancien magasin de jouets Albert Matagne, sur la place ; la vasque monumentale avec les lions d'où jaillissait l'eau ont fait jusqu'au début de l'année 2008 l'ornement du jardin Bayot, au fond de la grand-place, ce qui a heureusement permis sa conservation. Depuis la mi-octobre 2013, l'éclairage nocturne de la nouvelle fontaine est opérationnel. |