Monsieur Thomas,

          C’est au nom de tous les membres du Cercle théâtral de Fraire que je vous adresse ces quelques mots. Je dis "monsieur Thomas" et non pas "Adelin", car à ma connaissance rares sont ceux du groupe qui aient jamais utilisé votre prénom. Comme le maître d’école que vous avez été — à cette époque, personnage éminent du village —, vous êtes resté le maître des acteurs et bénévoles, leur père spirituel en quelque sorte, celui qui inspirait le respect.
          A quinze ans, dans ce village de Roly, vous êtes monté sur les planches dans la troupe de votre oncle, avant de reprendre les rênes de la troupe locale pour venir en aide aux prisonniers de guerre. En 1952, votre métier d’instituteur vous a amené à Fraire, et seulement deux ans plus tard vous n’avez pas hésité à reprendre les commandes de la troupe de la FNAPG, commandes que seule la maladie vous a fait abandonner il y a quelques années seulement.
          Au cours de ces cinquante années, vous avez dirigé la troupe de main de maître, vous avez aussi su mettre à l’honneur les prisonniers, en écrivant « Souvenirs de stalag » (qui a été rejoué vingt ans plus tard), et attirer vers le théâtre des jeunes que vous avez mis en scène à plusieurs reprises, notamment dans la pièce écrite par vous « A la librairie du village ».
          Vous avez donc été à la fois auteur, régisseur, metteur en scène, et ce jusqu’au moment où la maladie a frappé. Depuis lors, votre célèbre pipe — que nous avons dû remplacer lorsqu’un acteur s’est malencontreusement assis dessus — et votre verre de trappiste ne font plus partie de notre paysage, mais chaque fois que nous jouons, chacun d’entre nous a une pensée émue pour vous.
          Vous voilà donc parti retrouver votre chère épouse, qui vous a tant manqué depuis vingt-deux ans, et nous parions que vous ne manquerez pas de rencontrer là-haut l’un ou l’autre cousin, l’une ou l’autre cousine Thomas, Mathot, comme c’était le cas ici. Evidemment, vous allez aussi croiser vos chers acteurs disparus : Firmin, Arthur, Albert… et tous les autres.
          Allez-vous rempiler là-haut et les mettre en scène ? Si c’est le cas, n’oubliez pas de râler sur Raymond, celui dont vous me parliez sans cesse, celui qui vous en a fait voir de toutes les couleurs aux répétitions et aux représentations — mon père évidemment.
          Voilà ce que je tenais à vous dire, et puisque vous venez d’interpréter votre dernière scène et que le rideau va tomber, je vous dis « merci Monsieur Thomas, nous ne vous oublierons pas ».


Texte prononcé par Christiane Laffineur à la messe de funérailles en l'église de Roly le 9 août 2008.